Théâtrez-moi
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La pensée molle – une tentative de sursaut avant l’effondrement

"Ce spectacle a commencé à prendre racine dans une colère sourde : celle de nos corps assignés à résidence pendant le Covid. Mais aussi celle de mon cerveau, qui semblait perdre de sa plasticité à mesure que la confrontation avec d’autres points de vue se voyait réduite, empêchée."

Dans le cadre du Ladyfest BXL.

« Mou » Définition : Nom vulgaire du poumon de certains animaux, et particulièrement du veau.

Ce spectacle a commencé à prendre racine dans une colère sourde : celle de nos corps assignés à résidence pendant le Covid. Mais aussi celle de mon cerveau, qui semblait perdre de sa plasticité à mesure que la confrontation avec d’autres points de vue se voyait réduite, empêchée. J’habitais à l’époque entourée de plusieurs personnes, de plusieurs cerveaux ; je me suis mise à l’apprentissage d’une nouvelle langue ; je lisais. Mais le manque de lien avec le monde extérieur appauvrissait mon langage, ma pensée, jusqu’à la complexité de ma grammaire. J’en venais à oublier des mots. A échelle intime, j’assistais au spectacle navrant de l’embourbement de mon cerveau et de sa crétinisation forcée. Mais à échelle politique, se jouait un spectacle de bien piètre qualité également. Les termes d'«héroïsme» et de « résilience », mots nobles devenus fourre-tout inépuisables et obscènes, n'ont pas empêché certains de nos décideurs de mettre au chômage, entre deux vagues, des infirmières de plus de 30 ans de métier.

Cette performance en cours d’écriture veut mettre en parallèle ce qui s’est joué dans nos crânes à ce moment-là, et ce qui se joue depuis plus d’une vingtaine d’années à grande échelle : le vacillement et la destruction progressive des services publics. Pour cela, je m’inspire des mots de Matéo Alaluf dans son livre Contre la pensée molle, Dictionnaire du prêt-à-penser : « Il fallait une pensée molle - qui englue le cerveau social, qui rende tout simplement imprononçables et interdits de séjour mental tout terme qui s’oppose à la marchandisation de la société - il n’y a pas et il ne peut plus y avoir d’alternative : services publics, écoles, justice, culture, tout doit y passer. »

Quels sont les endroits du « prêt-à-penser » que nous acceptons, véhiculons, reproduisons? A quel moment le langage s’est-il « retourné » selon les termes d’Annie Lebrun dans son ouvrage Du Trop de Réalité ? A quel moment avons-nous cessé de lutter contre l’utilisation de mots vidés de leur sève, faisant perdre, par là, notre boussole à nos pensées, à nos corps, à notre rapport aux autres? Dans cette performance, une voix va tenter de s’attaquer à cette paroi de la pensée molle, quitte à s'y fracasser... Bienvenue.
Brune Bazin et le Ladyfest BXL