Le Portrait de Dorian Gray
Oscar Wilde
« Comme c'est triste, je vais devenir vieux, horrible, effrayant. Mais ce tableau restera éternellement jeune. Il n'aura plus jamais un jour de plus qu'en cette journée de juin... Si seulement ce pouvait être le contraire ! Si c'était moi qui restais toujours jeune, et que le portrait, lui, vieillit ! Pour obtenir cela, je donnerais tout ce que j'ai ! Oui, il n'y a rien au monde que je refuserais de donner ! Je donnerais mon âme ! ».
C'est Dorian Gray, jeune dandy séducteur et mondain, qui fait ce voeu insensé devant son portrait peint par son ami, Basil Hallward : garder toujours l'éclat de sa beauté, tandis que le visage peint sur la toile assumerait le fardeau de ses passions et de ses péchés. Et de fait, seul vieillit le portrait où se peint l'âme noire de Dorian...
Cette histoire est double : elle nous conduit dans un Londres lugubre et louche, noyé dans le brouillard et les vapeurs d'opium, mais nous ouvre également la comédie de salon des beaux quartiers.
Cette histoire fantastique, mais aussi philosophique, met en lumière toute la personnalité équivoque du dandy irlandais. Oscar Wilde y a enfermé une parabole des relations entre l'art et la vie, entre l'art et la morale, entre le Bien et le Mal.
« Chacun de nous porte en soi le ciel et l'enfer. »
Adapter Le Portrait de Dorian Gray est une entreprise osée, pleine d'embuches, car il faut épurer un texte extrêmement écrit, il faut échapper au pathos littéraire sans trahir le contenu du livre. C'est du théâtre de texte et même du théâtre de phrase, mais que nous avons voulu dynamiser, sinon dynamiter. Il fallait respecter Wilde tout en pensant au plaisir du spectateur.
Pour donner corps à toute cette abstraction, la mise en scène de Patrice s'appuie sur une scénographie pleine d'idées qui utilise astucieusement la profondeur de la scène. Le spectacle se développe dans des espaces qui évoluent dans la dynamique de la scène en cours. Pour parvenir à respecter à la fois la richesse psychologique de l'œuvre et son pouvoir satirique, il a fallu refléter la philosophie d'Oscar Wilde sans altérer l'anecdote et réciproquement. L'adaptation s'appuie sur le concret pour faire passer les idées. Bien aidé en cela par l'interprétation des comédiens.
Le Portrait de Dorian Gray est l'œuvre maîtresse de Wilde. On y retrouve l'intelligence de ses écrits, l'agilité verbale de son théâtre, le désespoir de sa poésie. L'œuvre de Wilde n'a pas vieilli, on marche comme au meilleur roman à suspense devant ce nouveau Faust qui cherche par tous les moyens, y compris le crime, à conserver la fraîcheur de sa peau et la souplesse de son esprit. Il y parviendra d'ailleurs, pendant 18 ans. Dans le genre fantastique, on a rarement fait mieux. Wilde disparu, le portrait que nous nous faisions de lui est plus jeune que jamais...
La charge contre l'Angleterre victorienne, pudibonde et malsaine, est aussi présente dans le spectacle que le combat de Dorian Gray contre lui-même.
Lord Henry, être intelligent, cynique et séduisant, c'est Oscar Wilde sortant délibérément de sa personne pour entrer dans un personnage animé par une révolte impuissante et passive, donc désespérée. Lord Henry, c'est Wilde qui dit tout haut ce qu'il est désespéré de ne pas penser tout bas. Dorian Gray, ce n'est pas Oscar Wilde mais pire encore, son utopie, le souhait d'un stéréotype humain dont il fait son rêve artistique. Quant à Basil Hallward, le peintre, c'est encore Oscar Wilde obsédé par une morale dont il ne peut se défaire et qui, paradoxalement, est l'élément moteur de sa propre condamnation. Toutes les contradictions de Wilde se retrouvent chez ce peintre, à tel point que Wilde, après avoir écrit le roman, rencontrera Dorian Gray en la personne de Lord Alfred Douglas, subira sa fascination et en mourra. De toute évidence, c'est autour de ce noyau en trois personnes qu'il fallait construire l'adaptation.
La grande force du roman est qu'il est intemporel. Le Portrait de Dorian Gray est un témoin de toutes les époques et de toutes les existences.
Lord Henry: Benoît Verhaert
Dorian Gray: Damien De Dobbeleer
Sir Basil Hallward: Frédéric Clou
Sibyl Vane: Léone François Janssens
James Vane / le directeur : Nicolas Ossowski
Alan Campbell / Lord Fermor : Marc De Roy
Tante Agatha / mère de Sybil : Bernadette Mouzon
Duchesse / Lady Henry : Myriem Akheddiou
Mise en scène : Patrice Mincke
Adaptation : Fabrice Gardin et Patrice Mincke
Décor et costumes : Charly Kleinermann et Thibaut De Coster